L’incroyable histoire de Vadim et sa collection de disques vinyles

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Il y a quelques mois, j’ai fait la rencontre extraordinaire de Vadim via Facebook. Vadim est né en Ukraine dans les années 60. À l’époque, l’Ukraine faisait encore partie de l’URSS, et ce pays était tout sauf facile à vivre. Vadim a une histoire, et c’est une histoire assez incroyable. Il m’a raconté son enfance, il m’a parlé de sa collection de disques vinyles et de comment c’était de vivre dans son pays dans la dernière partie du 20e siècle. L’histoire de sa vie est, pour nous qui avons grandi dans un « Monde Libre », quelque chose que nous ne pouvons même pas imaginer.

C’est l’histoire émouvante de Vadim et sa collection de vinyles…

Vendre et collectionner des vinyles en Ukraine dans les années 60

À l’époque, l’Ukraine faisait encore partie de l’URSS. Dans son enfance, les seuls disques qui passaient la frontière étaient rapportés par les marins ou les rares employés qui travaillaient à l’étranger. Pour le public, la majorité des vinyles provenant de l’Occident étaient interdits. Jeune garçon, Vadim devait acheter ses vinyles sur le marché noir pendant que ces mêmes disques étaient en vente libre sur toutes les étagères des disquaires d’Europe, des États-Unis, etc. En achetant ces vinyles prohibés, il y avait toujours un risque de se faire prendre par le KGB. Acheter ces disques était aussi très couteux. Dans les années 60 par exemple, un album pouvait couter la moitié d’un salaire d’un travailleur moyen.

record collection of vadim
© Vadim

L’URSS éclate en 1991, et depuis cette année, il est maintenant possible d’acheter librement des vinyles chez les disquaires. Comme il me l’explique, le choix dans les albums est vraiment restreint mais pour lui c’est compréhensible. Il commence à collectionner les vinyles il y a à peu près 4 ans et depuis que l’offre n’est pas aussi variée que la notre, il doit acheter ses vinyles via Ebay, Discogs, etc, et provenant de multiples pays comme les USA, le Canada, le Japon, la Corée, l’Australie, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suède, la Suisse, la France…

Ces 4 dernières années, il a acheté près de 3500 disques et a dépensé un peu plus de 78 000 dollars. Il me dit envier le Monde Libre car il est possible pour nous d’acheter des vinyles pas chers à d’autres personnes, dans les vide-greniers, les magasins d’occas et pour presque rien. Même s’il est difficile pour lui de se procurer des disques, « l’amour de la bonne musique » est toujours là ! Aujourd’hui, il est très fier de sa collection de disques vinyles et heureux que son rêve d’enfant soit devenu réalité !

En ce qui concerne son matériel (platine, ampli, enceintes, etc.), il date de la seconde moitié des années 70. À l’époque, lui et sa famille ne pouvaient pas se le permettre. À titre d’exemple, dans les années 80, les magnétophones ou enregistreurs à ruban de type Akai 646 coutaient aussi chers qu’une voiture neuve.

audio gear of vadim
© Vadim

Son adolescence à jouer de la guitare

Vadim est vraiment navré que son pays n’ait pas eu l’accès complet à la « Culture Mondiale » pendant toutes ces années. Sur ces 4 dernières années il en a apprit plus sur la musique et les artistes que pendant toute sa vie.

Adolescent, il a toujours aimé la musique du Monde Libre ! Quand il avait 15 ou 17 ans, il jouait de la guitare dans un groupe à l’école. Bien évidemment, c’était bien trop cher de pouvoir s’acheter un instrument, c’est l’école qui leur a prêté ce dont il avait besoin avec son groupe. Ils avaient les instruments mais n’étaient pas autorisés à jouer de la « musique étrangère », seulement de la musique traditionnelle. On lui avait dit que la musique rock était dangereuse pour l’esprit humain. L’école leur avait également montré des films de propagande des concerts des Beatles où de jeunes fans criaient joyeusement et pleuraient de joie. Les leaders leur avaient dits ! « Vous voyez ! Les gens deviennent fous à ces concerts ! ». Puis arrive le Disco. Encore une fois, les leaders ont proclamé que la rythmique de la musique Disco était dangereuse pour le rythme cardiaque, qu’il ne valait mieux pas en écouter.

vadim and his guitar
© Vadim

Pour Vadim, c’était un non-sens absolu, il ne le croyait pas d’ailleurs. Il se rappelle d’un temps où chaque année était organisé dans sa ville un concours de groupes de musique. Avec son groupe, ils ont gagné 2 fois de suite. Pour le concours, son groupe devait chanter des chansons politiques faisant l’éloge du Partie Communiste, de Lénine et de bien d’autres non-sens.

Ce qu’il aimait par-dessous tout à cette époque, c’est quand ils fermaient les portes de la salle de répétition. Avec son groupe, il jouait alors des chansons de Deep Purple ou des Beatles. Il ne se rappelle d’aucunes notes ou de mélodies des chants partisans qu’il jouait 40 ans plus tôt, mais il se rappelle encore de cette merveilleuse sensation de fermer les portes et apprendre à jouer « Girl » des Beatles ou « Smoke On the Water » de Deep Purple.

record collection of vadim
© Vadim

Toute sa vie, Vadim a aimé la musique Rock et écouter le Disco. C’est seulement récemment qu’il a commencé à comprendre que le Rock avait plusieurs styles. Il essaye d’avoir dans sa collection de disques vinyles un peu de tout, un genre d’échantillon de tous les styles.

Cette époque est révolue depuis longtemps me dit-il. L’URSS a volé en éclat, la musique Rock, elle, vit toujours ! En tant que conclusion, il dit : « Tout ce qui sonne faux et qui est dingue s’envole quand les choses sincères et de valeurs restent ! ».

Sa collection de disques vinyles comme héritage

Aujourd’hui Vadim est très heureux de pouvoir écouter Sinatra, Climax Blues Band, Chicago, Chet Atkins, Black Sabbath, Bad Company, B.B. King, Alan Price, Aerosmith, Nirvana et plein d’autres. Il est aussi très content que ses enfants et petits enfants n’auront pas à vivre dans l’ignorance, ils vivront avec la liberté de pensée. Comme héritage, il laissera sa collection de vinyles à sa petite fille.

vadim laughing with his granddaughter
© Vadim

L’autre jour, Vadim pensait au nombre de disques qu’il n’avait pas encore déballé. Il en a à peu près 900, dont 700 qui sont des premiers pressages. Il a toujours la main tremblante quand il ouvre un disque qui a été emballé un demi-siècle plus tôt. Pour lui, écouter un vinyle pour la première fois après tant d’années de silence est toujours un évènement en soi. C’est comme déboucher une vieille bouteille de vin ou un whiskey.

Alors Vadim lança une tradition dans sa famille. À chaque anniversaire de chaque membre de la famille, quand ils se rassemblent tous autour de la table pour les célébrations, la personne dont c’est l’anniversaire a le droit de choisir un disque vinyle encore emballé pour pouvoir l’ouvrir. Il imagine que sa petite fille, quand elle choisira son premier disque, s’orientera vers de la pop ou de la dance music. Année après année, au fur et à mesure que ses goûts musicaux changeront, elle choisira un vinyle de hard rock, de métal, de rock progressif, etc. Tout comme sa fille, elle choisit d’ouvrir aujourd’hui des vinyles de rock progressif, de hard rock, de jazz rock, et il en est sûr, après plusieurs années, elle choisira du Blues, tout comme lui. Et Vadim adore le Blues.

sealed records in vadim's record collection
© Vadim

Récemment, il a choisit son album préféré et l’a emballé dans un papier épais. Il a marqué dessus : « À ouvrir le 28 août 2062, le jour des cent ans de ton vieille arrière grand-père Vadim qui a commencé la collection familiale de disques vinyles. C’est son album préféré. J’aimerai que tu l’écoutes à ma mémoire ». L’album qu’il a choisit sera lui aussi vieux de 100 ans. Chaque membre de sa famille choisira aussi un album « 100ième anniversaire » qui sera ouvert par leurs descendants.

Combien d’entre nous pense encore à son grand père le jour de son 100ième anniversaire ? Combien d’entre nous se rappelle encore de la musique qu’il écoutait 1 an auparavant ? Pour Vadim, écouter un disque vinyle avec sa famille est associé à un évènement ou à un souvenir particulier. Et si un jour n’importe où, n’importe quand, à la radio, à la télé, avec un ami, sa petite fille entend une chanson particulière, d’un album particulier, ce ne sera pas seulement une bonne musique, ce sera aussi une partie de l’histoire familiale. Et elle se dira peut-être : « Nous avons écouté cette chanson pour les 60 ans de ma grand-mère ! ». Et Vadim ajouta : « Ce sera notre histoire… ».

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